1993, à cette époque là, le rock “dur” n’avait officiellement rencontré le rap qu’à 2 reprises, le temps d’un titre seulement avec Aeromisth & Run DMC pour Walk This Way et Anthrax & Public Enemy pour Bring The Noise (tiens tiens ça me dit quelque chose ça). Mais ça, c’était avant.
Depuis, certains groupes comme Body Count, H-Blockx ou Urban Dance Squad tentent le mélange en suivant différentes approches. C’est précisément ce moment là que choisi Happy Walters, génial patron du label Immortal Records (auquel on doit les découvertes de KoRn et Incubus entre autres), pour sortir une bande originale de film au concept révolutionnaire, n’ayons pas peur des mots.
L’idée pourtant simple (et aujourd’hui classique) de faire se rencontrer groupes de rock et groupes de rap n’est pas facile à mettre en œuvre car le fossé entre les 2 styles n’est pas facile à faire franchir aux puristes, quelle que soit leur préférence musicale. D’autre part, réunir une telle brochette d’artistes aux styles aussi variés et les faire bosser ensemble n’est pas une mince affaire. Qu’importe, le film Judgement Night servira de test pour cette BO hors du commun.
Le film, un thriller racontant l’historie d’une bande d’amis allant voir un match de boxe et se perdant sur le chemin de la salle, sort donc dans l’indifférence quasi générale. A l’inverse de la BO qui, elle, est encensée par la critique… et pour cause : elle ne réunit que du beau linge !
Au-delà des compos toutes plus géniales les unes que les autres, tout ce petit monde réussit la performance de travailler avec celui qui correspondait le mieux à sa musique et/ou à son état d’esprit mais en plus, ils trouvent à chaque fois le petit truc qui fait qu’ils sont tous en parfaite adéquation musicale. Le rap agressif d’Ice-T se marie donc parfaitement avec les tempos brutaux et les solos supersoniques de Slayer et que dire du duo Sonic Youth / Cypress Hill dont on ressort totalement embrumé tellement la chanson parcourt toute une palette d’émotions que l’on peut avoir quand on est défoncé. Ceci dit, le titre évocateur annonçait clairement la couleur.
D’un autre côté, on obtient des rencontres qui sur le papier peuvent sembler incongrue mais dont le résultat est détonnant. Qui aurait pu dire qu’une duo Pearl Jam / Cypress Hill (encore eux) donnerait un titre hiphop bien hardcore avec des guitares électriques qui préfigurent plus ou moins la direction musicale que prendront B-Real et sa bande presque 10 plus tard ?
Toujours dans le registre « ovni » il y a la rencontre entre Helmet, groupe New-Yorkais précurseur et injustement sous-estimé en son temps, et House Of Pain. Le style décalé du premier s’accommode du rap lui aussi décalé du second. Le résultat ? Un titre à la limite du rap et du hardcore, à la ligne de basse très agressive et prononcée qui se finit de manière dans un hiphop plus classique mais terriblement efficace.
La lourde tâche de réaliser la chanson titre est revenue à Onyx et Biohazard. Les 2 voisins (les 2 groupes étant New-Yorkais – Queens et Brooklyn) nous sortent là un des mégahits en puissance de l’album. C’est tout ce que l’on peut attendre d’une telle rencontre, l’influence hiphop de Biohazard est ici décuplée par la présence des rappeurs d’Onyx. Le beat, certes classique et limite prévisible, est d’une efficacité redoutable et l’accompagnement des guitares en fond donne à ce titre la touche ultime qui fait qu’on se prend à rapper en chœurs avec tout le monde sur le refrain, lui aussi classique et prévisible mais dont on ne peut se lasser.
Enfin, il y a un titre que je ne peux passer sous silence : Another Body Murdered, fruit de la coopération entre Faith No More (dois-je vous les présenter ?) et Boo-Yaa Tribe – groupe de gangsta rappers samoans tatoués faisant dans les 160kg chacun. Cette chanson fera l’objet d’un clip et on comprend aisément pourquoi puisqu’on y retrouve tout le génie de Faith No More. L’intro au piano, l’ambiance sombre de la musique, la voix grave et parfaitement maîtrisée de Patton, qui sur les refrains, part dans des cris hallucinants dont lui seul a le secret. Sublime.
Que dire de plus ? Ce disque est un monument ! Que dis-je ? Une institution ! C’est le disque d’une génération, la première rencontre à grande échelle entre 2 genres musicaux qu’a priori tout oppose. Tous ont ici trouvé leur complément idéal.
Judgement Night ouvre une brèche et pose les bases d’une nouvelle direction que prendra le rock dans le courant des 90’s. En un mot : CULTE.